Interview : Tof’ « La Société Elle A Mauvaise Haleine » [partie 3]

, par PA

J’ai tardé pour mettre la suite de cette interview en ligne. On fait ce que l’on peut.
On aborde ici une grosse part de cette entretien : végétarisme et végétalisme.

**Tu prends part à un collectif de cuisine végétalienne. Es-tu toi-même végétalien ou t’autorises-tu parfois des incartades vers le végétarisme ? Depuis combien de temps ?

Précisons quand même que la brigade du Mange Ta Main ! n’est pas qu’un simple collectif de cuisine végétalienne, on se retrouve avant tout sur des bases affinitaires et politiques plus larges que celles de ne simplement pas vouloir cuisiner avec des produits d’origine animale et si, dans une certaine mesure, on se veut ouvert sur l’extérieur et que de par notre position de cantine publique, on se voit de fait plus accessible que d’autres collectifs, il ne suffit pas d’avoir simplement envie de cuisiner végétalien pour y trouver sa place. La constitution de ce collectif est née de la volonté de créer un moment de rencontre hebdomadaire autour d’une bonne bouffe et tant qu’à faire, au-delà de nos habitudes alimentaires individuelles, de limiter au maximum la part d’exploitation animale présente dans l’assiette parce que bon, l’exploitation c’est quand même pas très sympa et euh ben les animaux non plus en fait (hé ! hé !) alors on s’en passe très bien ! Il y a eu une espèce de tradition de cantine vegan régulière dans les squatts lillois pendant des années (qui ont vu naitre « Las Vegan » pour les plus connus, enfin pour ceux qui connaissent...) et puis ça s’était perdu... l’histoire veut que ce sont des gens plus jeunes qui n’ont pas connus cette période qui sont à l’origine de cette relance et c’est fort bien aussi ! On sert en moyenne une cinquantaine de couverts par semaine (entrée, plat, dessert), le tout à prix libre, dans des lieux occupés et/ou autogérés et avec des produits de base issus dans la mesure du possible de récup de fin de marché ou de réappropriation dans les supermarchés. En ce qui me concerne je ne suis pas végétalien mais végétarien depuis une quinzaine d’années ce qui ne veut pas dire qu’il y a des œufs ou des produits laitiers à chacun de mes repas hein... j’essaie d’en surveiller ma consommation et les remplace avantageusement par de bonnes Bintje... (frite vaincra !!) Plus sérieusement, un peu de farine de pois chiche et différents laits végétaux (soja, coco...) font des substituts des plus efficaces !

**Y’a-t-il eu des éléments déclencheurs qui t’ont amené au végétarisme (chansons, photos d’abattoirs...) ?

Des chansons, non pas vraiment... d’ailleurs il ne devait guère y avoir autre chose que Kochise avec FLA et Sacrifice et Bénéfice ou Impact avec Vivisection Non Merci et Action Directe qui causaient un peu de souffrance animale dans ce que j’écoutais à l’époque... et encore c’était pas directement lié à la bouffe... d’ailleurs ça me fait remarquer qu’on trouve une flopée de chanson qui tournent autour d’une thématique de libération/expérimentation animale mais y’en a beaucoup moins qui me viennent à l’esprit concernant le problème pris sous l’angle de la consommation de viande, les petits chats avec des électrodes plantées dans le crane doivent être plus inspirant que l’étal du boucher du coin... (ma mère approuve, faut pas mélanger les torchons et les serviettes, hein !) Parmi les éléments déclencheurs ce serait plutôt des rencontres et des discussions avec différentEs acteurices au sein du « milieu » punk komcékondi... notamment avec Philippe qui faisait le zine Bruit en son temps et avec qui j’avais une correspondance régulière et assez riche. Il faisait également parti de l’AVIS (Association Végétarienne & Végétalienne d’InformationS) qui éditait différentes brochures sur le végétarisme/végétalisme/droit des animaux dont les lectures m’ont pas mal interrogées et apportées à l’époque. (Tiens je m’aperçois d’ailleurs après 2-3 clics que l’AVIS existe toujours et que les brochures dont je parle sont dispo dans leur version réactualisées ici :
http://avis.free.fr/Accueil.htm)

**50 couverts dans nos « milieux », ce n’est pas mal ! Penses-tu que l’initiative soit développable ? Le souhaiterais-tu ? Oui, non, pourquoi ?

Oui c’est pas si mal mais dans le même temps, même en tenant compte du fait que ce ne sont pas exactement toujours les mêmes personnes qui viennent chaque semaine à la cantine et que l’on brasse donc un peu plus de monde, mis à l’échelle d’une ville de 250 000 habitants et d’une agglomération qui en compte plus d’un million ça fait pas si lourd que ça hein... Et puis L’Insoumise de part sa position "publique" draine plus de monde et de façon plus large que le lieu ou l’on était précédemment et probablement plus que celui ou l’on sera après... Je n’suis pas sûr de bien entendre la façon dont tu utilises développable"... Si la question est d’étendre notre portée à encore plus de monde à l’échelle de la ville, oui je pense que ce serait faisable si on souhaitait s’inscrire dans une démarche de racolage, de course à "toujours plus" mais on en est loin, on ne se veut pas en lieu de consommation et perso le nombre pour le nombre ne m’intéresse pas. Le bouche a oreille fait déjà son effet, vient qui veut et le jour ou 100 personnes ou plus se pointeront à une cantine on se démerdera pour servir 100 couverts et plus mais faut pas se méprendre, on est pas une nouvelle forme de resto branchouille ou la hype bobo-bio-écolo etc. peut venir s’encanailler à pas cher, on n’a pas vocation à le devenir malgré notre ouverture et je pense que dans le collectif on est touTEs au clair là dessus et touTEs en mesure de clarifier la chose à qui de droit s’il le faut ! Certes on essaye d’être une cantine ou il est sympa de passer faire un tour, conviviale, ou l’on mange bien, ou l’on peut retrouver des amiEs, se marrer ou discuter de choses plus sérieuses mais on est toujours dans le champ politique, tant dans nos pratiques culinaires et le choix des endroits ou l’on cuisine que dans les options de vie que l’on défend et on essaie de ne pas le faire perdre de vu aux gens qui viennent manger... y participe notamment la diffusion d’une feuille d’info hebdomadaire qui compile au niveau local les différentes luttes en cours, l’actualité répressive des derniers jours ou les actions de soutien à venir. Si la question est de l’étendre à d’autres villes, il existe déjà des initiatives similaires dans différents coins de (f)rance et d’ailleurs, on a rien inventé... et si la question est à quand une cantine Mange Ta Main ! entre le Subway et le Mc Do près de chez toi, on risque bien de se fâcher ! ;)

**Entre Mc Do et Subway quoi qu’il arrive vous feriez sans doute tâche ! Ah ! Ah ! Je comptais bien aborder les histoires de compromis en effet, mais tu as vu juste... Qu’à cela ne tienne, j’ai d’autres questions dans ma musette : La viande en abondance, maltraitance et exploitation animale, etc… une conséquence directe du capitalisme ? Le flingage en règle qu’a subi le vieux monde paysan principalement au sortir de la seconde guerre nous a définitivement fait sortir des productions de bouffe en fonction des besoins. Tu penses quoi des histoires de décroissance ? Faudrait-il envisager une baisse de la natalité, voire en sus (attention passage typique du hippy complexé) un retour à la terre, pour mieux nourrir, « tous, moins et autrement » ?

 ! Hé ! Désolé de foirer tes effets !
Non, me semble pas que les questions de viande en abondance, de maltraitance et d’exploitation animale soient liées au capitalisme, enfin pas uniquement... certainement concernant l’abondance, les méthodes de production de la viande ayant été "optimisés" au cours du siècle dernier comme pour n’importe quel autre produit afin d’en réduire les couts et d’en augmenter les profits. L’industrie de la viande a explosée et a su en faire un produit phare, faisant passer la bidoche d’un produit de luxe à consommation restreinte comme ça l’était encore pour mes grands-parents à un produit de consommation courante, quotidienne voir pluriquotidienne comme ça l’est aujourd’hui dans un grand nombre de pays dit développés... Pour le reste, j’ai jamais entendu dire que, dans les contrées se revendiquant du communisme, l’animal était mieux traité qu’ailleurs dans le monde... Et malheureusement je ne pense pas que ce serait différent dans une société libertaire, les anars sont loin d’être touTEs végétarienNEs ou veganEs et la souffrance animale reste bien souvent à leurs yeux en bas de l’échelle des luttes à mener !
Pour ce qui est des histoires de décroissance, en tant qu’anar il me semble plutôt logique de réfléchir et de faire attention à ce qu’on consomme et la façon dont on le fait, y’a pas fallu attendre les objecteurs de croissance pour ça... et pour ce qui est de leur projet économicopolitique, j’ai un sérieux doute sur le fait que de s’attaquer aux problèmes de ce monde sous le seul angle de la consommation changera grand-chose et leurs analyses semble s’y limiter, une société au consumérisme light fut-il vert, bio, équitable ou que sais-je ne me semble pas bien différent du modèle qu’on nous offre aujourd’hui et je ne crois pas qu’il soit réellement possible de changer les choses de l’intérieur (comme on dit) en grappillant et en avalant les miettes qu’on veut bien nous lâcher...
L’humanité court à sa perte, là-dessus on est d’accord, ce n’est peut-être pas un mal...(et lors de mes pointes d’optimisme j’aurais tendance à penser que le plus tôt sera le mieux !), une baisse de la natalité pourrait éventuellement retarder l’échéancier de l’épuisement des ressources, à moins qu’on ne découvre entre temps de quoi les remplacer, suspense... quant au retour à la terre (crève hippie crève !), au jour d’aujourd’hui ça me semble quand même être essentiellement un truc d’urbain, blanc, plutôt à l’aise financièrement qui regrettera à plus ou moins brève échéance le temps ou sa pizza arrivait chaude en 30mn et où il ne fallait pas se salir les mains pour se chauffer ni attendre l’été pour avoir des tomates plutôt qu’une solution globale viable.